Son regard me dégoute. Il a l'air de ne pas avoir vu une nana depuis trois
ans… Apparemment, ça lui ferait un peu de bien de sortir de son trou, ses yeux explosés me confirment une sacrée dépendance à l'écran. La main restée sur l'embrasure de la porte, comme s'il avait peur que je rentre pour lui piquer un de ses 134 logiciels et jeux vidéos stupides et inutiles, il attend que je parle. Je lui ferais pas le coup de la vierge effarouchée, ça marchera pas avec lui, il serait capable de tomber en catalepsie. Je prends alors mon air le plus blasé possible, pour aborder le sujet qui me concerne. Je me trouve assez conne d'avoir sonné à cette porte et pas à celle avec les nains de jardins alignés près de la boîte à lettres et le paillason accueillant et propre avec en polices gothiques délavées la mention Bienvenue qui donne tout de suite envie de connaître Madame. Je dis madame parce que ça ne peut être qu'une vieille bourge pour ne pas se rendre compte que la position de ces petits nains innocents n'est pas très catholique, se pointant mutuellement du rateau ou se penchant incongruemment pour ramasser des fleurs de sa charrette, offrant ainsi son derrière à vue de ses charmants collègues barbus. A moins qu'elle aime ça. De toute façon, elle aurait fait comme toutes les vieilles dames, elle m'aurait mater par son judas, se faisant des films toute seule :"Mon Dieu, faites que cette droguée parte au plus vite, je n'ai rien fait de mal pour mériter ça. Oh quelle horreur!Elle est en train de salir mon beau paillason avec ses bottes affreuses! Elle doit être en manque! Elle va fracasser mes jolis nains!" Tout en retenant son yorshire contre sa poitrine pour lui éviter de faire du bruit, ça inciterait la junkie a insister. "Je suis avec un pote sur la route, un peu plus loin, il est totalement jeté et moi je suis incapable de changer une roue. Pas que je sois stone, je conduis jamais stone, c'est un de mes principes, mais bon, j'ai même pas de roue de secours, Tom l'a vendue pour se faire une ligne y'a bien deux mois de ça déjà, alors, vu que j'ai jamais eu assez de fric pour m'acheter un téléphone, et que je peux pas payer un dépanneur j'ai suivi la route et je suis arrivée jusqu'ici…" Je m'arrête là parce que le type réagit pas. J'ai l'habitude que lorsque je pars dans mon trip, les gens claquent la porte ou quelque chose dans le genre, style lacher leur chien ou appeler les flics. Une fois ça y est allé fort. Le type était lui-même flic et il avec un dobermann à la main juste quand il m'a ouvert la porte… J'ai même pas discuté là. Je suis irresponsable mais pas à ce point tout de même. Mon dealer a besoin de moi pour se renflouer bordel! Bref, le type reste là, il a juste laché l'embrasure de la porte. En tout cas il me fait pas peur. Avec la cuite que je me suis tapée, je peux encaisser n'importe quoi. Même une baise avec un type pareil. Tout pour pouvoir repartir au plus vite et m'éviter le manque du week-end. Au fait, on est samedi ou dimanche?… A moins qu'on soit mercredi… C'est quand les rediffusions de winnie l'ourson, le mercredi? Alors on est mercredi. En fait,ce mec a l'air de plus comater que moi. Un peu beaucoup une odeur de beuh que j'avais même pas encore remarqué. J'ai toqué à la bonne porte. Il est pas si mal que ça en fait ce type. Il ouvre enfin la bouche, avec une voix calme et chaude:" Et qu'est-ce que t'attends de moi alors? - Ben j'en sais trop rien au juste… Un peu de beuh? - Déconne pas avec moi s'il te plaît, je sais très bien que tu dépenses pas ton fric en ça, une junkie comme toi ça réserve tout à ses fix. J'ai pas de roue de secours à te préter, de toute façon je suis sûr que je la reverrais pas. Je veux bien te laisser passer un coup de téléphone mais pas plus… T'aime les nains de jardins? - Hein? - T'attends pas ton copain? - Euh… non, il roupille sur la plage arrière. Ca évitera qu'on me pique encore les autres roues." Il fait super obscure chez lui. Tous les volets sont fermés, j'ai horreur de ça. Comme je l'avais deviné, la seule source de lumière du rez-de-chaussée est la page d'accueil d'un site porno sur son ordinateur. J'entends du bruit en haut, il n'est pas seul alors, la vision d'une tournante me passe très vite à l'esprit, mais lui joue pas aux cons, il m'amène directement au téléphone. Il s'asseoit sur le rebord d'une fenêtre, elle aussi fermée, et attends. Je tape d'abord le numéro des renseignements. C'est le seul chiffre que j'arrive à retenir:"Ouais, euh… bonjour, je voudrais le numéro de Raphaël… euh… Raphaël…" C'est bien ma veine, moi et les noms de familles…:"Laissez tomber!" Je raccroche, et je me mets la tête entre les mains, je prépare une mauvaise descente tout ça parce que je suis incapable de me rappeler le nom de l'un de mes meilleurs potes… Décidément, je suis à flinguer. L'autre attend. Il doit me trouver pitoyable.Je garde mon sang froid, un air moins innocent que ça tu meurs. Je suis à flinguer et je pense à ce putain d'enculé qui se la coule douce dans mon van. Il s'est piqué hier soir, j'en suis sûre, sinon il sentirait déjà les effets. Il m'a menti ce con, et il va en chier. "Tu veux dormir ici ce soir?" Qu'est-ce qu'il raconte? Il est à peine 10 heures du matin! Ca doit être une herbe mortelle! "Tu connaîtrais pas un Raphaël?" Il me regarde. Ses yeux ont tout d'un coup un air beaucoup plus clair, un éclair de raison. Il me fixe, un sourire en coin, puis éclate de rire, se cassant la nuque en arrière, s'explosant le crâne contre la vitre. Là, c'est à moi de rire. Bref, on est pas dans le même trip. On se fout tous les deux de la gueule de l'autre et ça met l'autre mal à l'aise m'enfin, j'ai conscience de ça, ça veut dire que je commence à descendre, c'est mauvais signe, je commence à angoisser, et je sais pas s'il s'en est rendu compte mais il roule des yeux, cherche dans ses poches… Moi je me dis qu'il faudrait mieux de que je m'en aille, que je tape un peu l'incruste, que c'est pas avec lui que je vais avancer, et que j'ai besoin de trouver un moyen de rentrer au plus vite."Tu habites où, ou plutôt tu dois aller où si vite? - En quoi ça te concerne? - Ecoute, on fait un marché, tu commences à être en mauvais état… - Et qu'est-ce qui te fais croire ça?" Il fait un petit signe, me désigne mes pompes, non mes cuisses, à non, c'est mes mains, elles tremblent, je m'en rends jamais compte jusqu'à ce qu'on me le fasse remarquer, et après, ça devient envahissant, je vois que ça, alors, tout part en couilles parce qu'en plus, je sais que le manque arrive, que je vais me sentir mal, que je vais… "Qu'est-ce que tu veux me proposer? Si c'est pour coucher, faut que tu me trouves du speed ou de l'ecsta parce que je suis indisponible… - Je te propose la solution suivante, je t'emmène en voiture avec ton copain, et arrivés chez toi, toi tu m'heberges pour quelques jours. J'ai besoin de vacances. - Et Ivry, ça va te faire des vacances? - Maintenant je sais où tu es si pressée de partir!" Il me fait de la bringue là ou quoi? De toute façon je n'ai pas de moyen de choisir de lui dire non. Et Tom? Il est trop con:"On a qu'à partir tout de suite, il se débrouillera tout seul, j'enverrai quelqu'un le repecher. Elle est où ta caisse?" |