La dette extérieure publique actuelle de l'Argentine s'élève à plus de 130 milliards de dollars. Mais, durant les vingt-cinq années qui ont suivi la dictature militaire mise en place en mars 1976, elle a remboursé plus de 200 milliards de dollars ! Sous le régime de terreur des « années de plomb » (1976-1983), sa dette extérieure a été multipliée par 5,5 (passant de 8 milliards à 45 milliards de dollars). Le FMI a systématiquement soutenu et conseillé les généraux, allant même jusqu'à détacher un haut fonctionnaire, M. Dante Simone, auprès de la Banque centrale argentine. Dans la dernière période de la dictature, l'écrasante majorité de la dette externe privée a été transférée de manière illégale à la charge de l'Etat.

Selon le droit international, ces dettes acquises par un régime dictatorial constituent une « dette odieuse ». Lors du retour à la démocratie, en 1985, le président Raúl Alfonsin aurait donc été fondé à ne pas accepter la pression du FMI et des créanciers, mais il n'en a rien fait. Au début du régime constitutionnel, il a au contraire signé un accord avec le FMI, engageant son pays à tout rembourser jusqu'au moindre centime. Les dettes qui ont été contractées par la suite ont essentiellement servi à rembourser les anciennes.

Le 13 juillet 2000, après dix-huit années de procédure, le tribunal fédéral no 2 de Buenos Aires a rendu un jugement long de 195 pages qui démontre le caractère illégitime de la dette, la culpabilité des créanciers privés internationaux, du FMI et de la Réserve fédérale des Etats-Unis). Il démontre la rapacité des capitalistes argentins, qui exportent systématiquement leurs capitaux vers l'extérieur après avoir vidé l'économie nationale de sa substance et de ses industries. Les citoyens sont dès lors parfaitement en droit de demander au président Eduardo Duhalde qu'il maintienne la suspension du remboursement de la dette en vue d'obtenir son annulation.

Un régime qui se donnerait pour priorité, de manière cohérente, la satisfaction des droits humains fondamentaux de ses citoyens et prendrait les mesures concrètes allant en ce sens, bénéficierait d'un large soutien populaire en Argentine et bien au-delà. Le Brésil, dont la dette s'élève à 250 milliards de dollars, connaîtra une élection présidentielle en octobre 2002. Le nouveau président pourrait faire front avec l'Argentine face aux créanciers. Et pourquoi pas un cartel des endettés avec le Venezuela de M. Hugo Chávez ? Cela pourrait engager le continent latino-américain dans un tournant historique.

ERIC TOUSSAINT.